16/04/2024

Vie citoyenne en France et connaissance de l’étranger (1789-1815)

Le 5 mai 1789 a lieu l’ouverture solennelle des Etats généraux du Royaume. Commence alors pour Charles Maurice de Talleyrand-Périgord, entre sa nomination et la fin de l’assemblée constituante, le 30 septembre 1791, une période d’intense activité. Dès le 14 juillet 1789, Talleyrand est nommé membre du Comité de Constitution de l’Assemblée Nationale. En août 1789, il fait adopter sa proposition de rédaction de l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Le 10 octobre, Monseigneur l’évêque d’Autun donne sa « Motion sur la nationalisation des biens ecclésiastiques. ». Il sera aussi l’auteur d’un énorme « Rapport  sur l’instruction publique », dans lequel il pose les principes qui en font l’ancêtre de l’école moderne et prononce un discours qui devait faire démarrer le processus d’ « établissement du système métrique ».
Le16 février 1790, l’évêque d’Autun est élu à la présidence de l’Assemblée Nationale. Le 14 juillet 1790, il célèbre la messe qui a lieu sur le Champ de Mars, lors de la Fête de la Fédération. Le 13 janvier 1791, il donne sa démission d’évêque d’Autun. Le 24 février 1791, Talleyrand sacre 2 évêques constitutionnels et est excommunié par le pape.

Pour mieux appréhender le travail considérable accompli par Talleyrand de 1789 au 30 septembre 1791 date à laquelle l’Assemblée constituante arrête ses travaux et Talleyrand cesse d’être député, il convient de se reporter à la partie de l’article d’André Beau  « le Parcours de Talleyrand » les années citoyennes dans laquelle, on trouvera la liste impressionnante des motions et rapports présentés par Talleyrand, en particulier dans le domaine financier où il excelle.

Début 1792 la guerre est considérée comme inéluctable, l’Assemblée Législative veut envoyer une mission à Londres  pour se concilier les bonnes grâces de l’Angleterre Talleyrand semble tout indiqué pour cette mission qu’il accepte avec empressement. Il revient en France le 15 juillet et, peu après le 10 Août, dans un texte, justifie la déposition du roi qui vient d’être enfermé au Temple.

Aux prises avec les difficultés de la révolution

Septembre 1792, la nouvelle assemblée prend le nom de Convention, les difficultés extérieures et aussi intérieures se multipliant, Talleyrand estime prudent de quitter la France. Il arrive à Londres le 18 septembre 1792, après avoir obtenu avec bien des difficultés un passeport signé de Danton, ce qui lui permettra de prétendre qu’il n’était pas un émigré. Au cours de son séjour , Talleyrand qui habitait à Londres vint souvent rendre visite à un groupe d’illustres émigrés français réunis à Juniper Hall.

Il était temps, en effet, l’armoire de fer découverte aux Tuileries peu de temps après son départ dans les appartements de Louis XVI recèle des papiers qui le compromettent. L’acte d’accusation dressé contre lui en décembre 1792 conduit à une demande d’arrestation.

En 1794, expulsé d’Angleterre dans le cadre de l’Alien Bill, il part pour les Etats-Unis où, pour vivre, il se transforme en homme d’affaires et en spéculateur, parcourant l’intérieur du pays à la recherche d’éventuelles lucratives opérations immobilières. Tout en se lançant dans des opérations financières il ne manque pas d’étudier de près les mœurs politiques et la vie économique du pays qui l’accueille.

Talleyrand, radié de la liste des Emigrés, peut revenir à Paris le 20 septembre 1796. Le 3 juillet 1797, Talleyrand lit à l’Institut, son Essai sur les avantages à retirer des colonies nouvelles dans les circonstances présentes. Il réussit à obtenir de Barras le portefeuille des Affaires étrangères, le 16 juillet 1797, grâce à l’intervention pressante de Mme de Staël qui s’emploiera à cette démarche avec élan et sans arrière pensée. Il oublie vite, en Mme de Staël, la personne dévouée à l’extrême qui l’avait remis en selle et lui avait permis ce retour en grâce.

Pendant le Directoire, le pouvoir est associé plus à un moyen de jouissance qu’au service de la nation. Talleyrand trouve son compte dans cette ambiance de facilité, voire de malversations et de corruption. Il mélange activité diplomatique et enrichissement personnel. ll fait rapidement fortune non sans subir quelques mésaventures comme dans des négociations avec les Etats-Unis pour la vente de la Louisianne, connues sous le vocable de « l’affaire XYZ » ou de « quasi war » aux Etats-Unis. Dans cette affaire, les conditions préalables mises à l’ouverture des négociations, parmi lesquelles des « douceurs » dûment chiffrées pour le ministre des Relations Extérieures scandalisèrent les plénipotentiaires américains.

Le 20 juillet 1799, accusé de malversations, Talleyrand démissionne de son ministère. Ce faisant il a la prescience qu’un tel régime court rapidement à sa perte, il décide alors de précipiter l’événement. Il encourage activement un jeune général, Bonaparte, à prendre le pouvoir et contribue à la préparation du coup d’État du 18 Brumaire. Il a, en particulier, la tâche de faire démissionner Barras ; il réussit à merveille cette opération sans avoir à lui verser les sommes importantes qui devaient l’encourager à se résigner au départ.

L’entreprise menée à bien, Bonaparte n’oublie pas Talleyrand, celui-ci retrouve son poste de Ministre des affaires étrangères sous le Consulat, poste qu’il conserve sous l’empire jusqu’en 1808. Talleyrand prend alors une place importante auprès de Napoléon et se rend indispensable dans les relations internationales du Consulat puis de l’Empire.

Ministre au service de Napoléon

A partir de ce moment, Talleyrand tient une place importante auprès de Bonaparte. Il incarne aussi bien les valeurs de l’Ancien Régime que les principes de la Révolution ce qui permet à Bonaparte de jeter un pont entre son régime naissant et celui historique de la France. Il est en outre un homme de paix préconisant la stabilité des relations entre les Etats européens et Bonaparte a alors besoin de paix à l’extérieur pour faire accepter son intrusion sur la scène européenne par les états « légitimes ». Talleyrand signe, sans les avoir inspirés, le Traité de Lunéville le 9 février 1801 puis le 24 mars 1802, la paix d’Amiens.

Talleyrand est l’inspirateur des articles organiques du Concordat de 1801 mais ne mène pas les négociations jusqu’à leur terme car il ne peut fléchir le Saint Siège concernant son cas personnel qu’il aurait voulu voir inclus dans l’article relatif aux ecclésiastiques mariés. Le Concordat est néanmoins signé le 15 juillet 1801 et le pape Pie VII se limite à donner, à Saint Pierre de Rome, un bref rendant Talleyrand à la vie séculière et laïque. Le 9 septembre 1802, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord et Catherine-Noël Worlée, « La belle madame Grant » qu’il connaît déjà depuis un certain temps, signent leur contrat de mariage à Neuilly. Le 10 septembre 1802, mariage civil à la mairie de la « division » de la Fontaine-de-Grenelle, rue de Verneuil (Xème arrondissement). Le 11 septembre 1802 (24 fructidor an X), mariage religieux en l’église d’Epinay-sur-Seine

En 1804, il est l’inspirateur de l’enlèvement du duc d’Enghien qui sera aussitôt fusillé après un procès bâclé. Le 7 mai 1803, il achète la la « terre de Valençay » sur les conseils de Napoléon et avec, semble-t-il, son aide financière. L’empereur souhaitait qu’il puisse recevoir dignement les personnes qu’il voulait honorer, il y reçoit effectivement quelques personnalités en 1805 et 1806. Le Bicentenaire de cet achat est célébré avec faste, le 17 mai 2003, par l’Association les Amis de Talleyrand.

Le 2 décembre 1804, Talleyrand assiste au sacre de l’empereur Napoléon. Le 2 décembre 1805, victoire d’Austerlitz.

Depuis quelques années déjà, Napoléon, appuyé sur une armée puissante et sur de son génie militaire, écrase les coalitions sans cesse renaissantes ; c’est la grande époque des victoires des guerres napoléoniennes. Napoléon impose sa loi aux autres nations de l’Europe continentale. Metternich disait en 1809 de Napoléon qu’il était « le souverain de l’Europe » tant il a essayé de modeler cette Europe à sa manière, même si ce ne fut que d’une manière éphémère. Talleyrand ministre des affaires étrangères est entièrement au service de l’empereur qu’il suit dans ses campagnes victorieuses avec ses collaborateurs et ses secrétaires. Le 2 décembre 1805, c’est la victoire d’Austerlitz, Le 26 décembre 1805 (6 nivôse an XIV), Talleyrand signe avec l’Autriche la Paix de Presbourg en cherchant à ménager ce pays

Bien que servant Napoléon, avec dévouement voire avec zèle et flatterie parfois, Talleyrand demeure, en effet, fidèle à ses convictions, partisan de la paix, des relations commerciales et de l’équilibre entre les nations européennes, il est, au sein de l’entourage de l’empereur, la seule personnalité qui ose lui faire connaître ses positions et qui tente à de nombreuses reprises mais toujours en vain, de freiner ses ardeurs guerrières. Il soutient, en particulier lors de la signature de la Paix de Presbourg la position de ne pas humilier l’Autriche en la démembrant en en faisant, de ce fait, un ennemi implacable mais au contraire de s’en faire un allié en lui offrant une paix honorable.

Les 7/9 juillet 1807, Talleyrand signe à Tilsit, le traité avec la Russie et avec la Prusse. Le 9 août 1807, Talleyrand donne sa démission de ministre des Relations extérieures, le 17 août il est nommé vice grand électeur.

Le 18 mai 1808, sur ordre comminatoire de Napoléon, Talleyrand « accueille » à Valençay, les infants d’Espagne, don Ferdinand, don Carlos et leur oncle, don Antonio. Talleyrand entoure ses hôtes «de respect, d’égards et de soins ». Bien traités mais prisonniers cependant, ils resteront à Valençay jusqu’en 1814.

Talleyrand, en grand seigneur à Paris, à Valençay à Vienne ou à Londres

Le Château de Valençay chef d’œuvre de la Renaissance, est célèbre pour la beauté de son architecture rehaussée par le magnifique donjon d’entrée. Pendant plus de trente ans, « les Terres de Valençay, Luçay et Veuil » d’une superficie totale de 20.000 arpents (12.000 ha), un des plus grands domaines de France, seront la propriété du prince de Talleyrand. Meublé avec faste par le nouvel acquéreur, « mobilier très riche, des marbres, des tableaux, des gravures, une bibliothèque de dix mille volumes », digne des grands châteaux anglais, notait un visiteur en 1826, et aussi un cabinet de curiosités. Le château conserve encore aujourd’hui, une grande partie de son exceptionnel mobilier d’origine

Talleyrand ajoute le pavillon de la Garenne « pavillon de chasse » construit de 1805 à 1809 et fait créer un très joli petit théâtre, sur la suggestion de Napoléon qui pense à la distraction de ses prisonniers, les Infants d’Espagne. En revanche, il utilise le très élégant château de Veuil, déjà en mauvais état, comme carrière de pierre pour l’entretien et des travaux de restauration de son château de Valençay.

Le 18 octobre 1801, Talleyrand, conjointement avec Catherine Grand qui deviendra quelques mois plus tard son épouse achète la terre de Pont de Sains qui d’après la duchesse de Dino « n’est rien que la maison d’un maître de forge placée entre un étang et une usine, entourée d’une prairie et d’immenses forèts….
En 1826, la princesse de Talleyrand abandonne ses droits à son ex mari contre une majoration de sa pension. Par héritage, ce bien demeure dans la famille de Castellane qui le vend en 1918.

Le 12 juillet 1804 (21 messidor an XII), Talleyrand revend 300.000 francs, le domaine du Haut-Brion, acheté 255.00 francs, trois ans plus tôt.

Talleyrand chez lui, à Paris ou à Valençay au temps de son intense activité politique, n’a guère de vie privée: il a des relations avec tous les grands  noms de l’Europe. Maître de maison accompli, imprégné des manières et de l’art de vivre de l’Ancien Régime et disposant la plupart du temps de ressources considérables, Talleyrand reçoit magnifiquement. Il reçoit même dès son lever ordonné comme celui du roi du temps de l’Ancien Régime. L’invraisemblable scène du lavage du nez et de la gorge est bien connue.

Il offre des dîners somptueux aussi bien rue Saint Florentin qu’à Valençay, à Vienne ou à Londres. Antonin Carême, « le cuisinier des rois et le roi des cuisiniers » sera le responsable de l’ordonnancement de ces dîners à l’Hôtel Saint Florentin de 1808 à 1814.

Etre invité à sa table était un honneur suprême. Une véritable étiquette règle l’ordonnancement de ces dîners, auréolés de la présence de sa nièce par alliance, Dorothée, devenue plus tard duchesse de Dino. André Beau dans deux articles  « Talleyrand, la vigne et le vin » et « Les hôtes de Talleyrand à Valençay» donne de très intéressantes précisions sur le cérémonial et les invités reçus à la table de Talleyrand.

Talleyrand joue au trictrac et surtout au whist. Les parties durent fort longtemps et donnent l’occasion de rencontres discrètes. Talleyrand fut un curiste persévérant qui attendait de ses nombreuses cures thermales un soulagement aux douleurs causées par son infirmité. Il effectua une trentaine de cures à Bourbon-l’Archambault, depuis juillet 1801. Talleyrand fit quelques infidélités à Bourbon-l’Archambault, sa station préférée, en particulier mais non exclusivement, en 1806 à Wiesbaden proche de Mayence où il avait rejoint Napoléon et en juillet 1829 à Aix- La-Chapelle. Il se rendit pour la dernière cure de sa vie en 1835 à Bourbonne-les-Bains, où il était déjà venu en 1813.

Le 5 mars 1812, Talleyrand acquiert l’Hôtel de l’Infantado, 2 rue Saint-Florentin. Cet hôtel est le centre de la vie mondaine et politique française pendant des années, il est aussi la résidence où Talleyrand mourra en 1838. Toute sa vie, Talleyrand a acheté et revendu de belles résidences à Paris à Paris ou dans les environs, en pratiquant à l’occasion une opération financière fructueuse.

Le prince de Talleyrand revient à Valençay en 1816 après le départ des princes d’Espagne, il partage son temps alors entre son château et l’Hôtel de la rue Saint Florentin à Paris. Toujours grand seigneur, il y donne des réceptions qui ne le cèdent en rien à celles de Paris A partir de 1834, il en fera pratiquement sa résidence principale mais en allant souvent au château de Rochecotte, lieu de résidence de sa nièce Dorothée de Dino.

Talleyrand, séjournant plus souvent à Valençay à partir de la Restauration, s’est intéressé de près à la vie locale: il est maire de Valençay de 1826 à 1831 et conseiller général de l’Indre de 1829 à 1836. On trouve dans la ville de nombreux lieux rappelant sa présence ou son action en particulier sa contribution à l’érection du clocher de l’église.

André Hallays reconstitue ce que put être la vie quotidienne de Talleyrand à Valençay sous la Restauration et sur la fin de sa vie.

Laisser un commentaire